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Ce que les IA génératives disent de notre conformisme et de nos imaginaires

IA - Le 19/09/2023

(Billet d’humeur pour le Sido Lyon, par Ariel Kyrou, le 15 septembre 2023)

Une équipe de football américain qui « évite les freins et passe à la vitesse de la victoire » ? Cette phrase grotesque est tirée d’une chronique sportive d’un quotidien régional des États-Unis, le Columbus Dispatch ; elle a été écrite en août 2023 par Lede AI, intelligence artificielle générative spécialisée dans le journalisme… Le groupe de presse Gannet, à laquelle appartient ce support ou encore le très populaire USA Today, joue en effet la carte de la substitution des humains par les intelligences artificielles, du moins dans un premier temps pour des articles simples comme les comptes-rendus de sport ou boursiers. Suite à la polémique autour des maladresses et des erreurs commises par Lede AI, cette petite sœur en tenue de journaliste de ChatGPT a été très temporairement suspendue. Mais d’où vient donc ce fantasme de remplacement ? Et que raconte-t-il du conformisme de nos médias comme d’ailleurs de nos écoles ou de nos industries ?

 

Et si l’IA générative, à l’instar de Lede AI, ChatGPT ou MidJourney pour l’image, était moins une innovation pétaradante des apôtres de l’intelligence artificielle made by Silicon Valley que le révélateur, à la fois de la puissance de nos imaginaires des nouvelles technologies et de l’étroitesse de nos visions des intelligences autant humaines que non-humaines ? Depuis sa mise à disposition de tous les publics en novembre 2022, l’agent conversationnel de la société OpenAI, ChatGPT, a en effet été l’une des stars des médias, des officines du savoir et des petits et grands salons où l’on cause de nos bêtises et de nos intelligences. Que penser, sous ce regard, de l’interdiction d’utiliser cette IA dans bien des écoles et universités des États-Unis comme de France ? La nécessité de résister au techno-solutionnisme de ceux que le pionnier des révolutions digitales Tariq Krim a baptisé les « suprémacistes de la technique » est bien sûr l’une des pièces à mettre au dossier des IA génératives. Mais cette tendance vient de loin. Et la capacité d’outils plus ou moins smart, comme cet algorithme bavard, à réfléchir, à créer et à rédiger des dissertations à notre place n’est-il pas le signe de nos manques et de nos facilités avec ou sans usages de quelque technologie ? De notre propension à voir des intelligences là où ne s’expriment que des répétitions à l’infini d’une même norme, de mêmes mécanismes de pensées prémâchées telles que les adorent nos institutions fossilisées ? Et si l’IA, par ses capacités de digestion, de remoulinage de pompage dignes des Shadoks, genre plan en trois parties « thèse, antithèse, synthèse » pour l’éternité, nous permettait de retrouver ou de réinventer des intelligences non procédurales ? Des intelligences de l’ordre de l’inattendu, de l’humour, du décalage, du contre-emploi et de la capacité à nous surprendre… Et si, par un paradoxe de l’époque, l’usage non pas béat mais ouvertement critique des intelligences artificielles nous aidait, comme le souhaitait le philosophe Bernard Stiegler, à « désautomatiser nos esprits » ?

 

La connaissance, l’étude et l’usage des imaginaires de l’IA est l’une des clés d’un tel regard critique, indispensable pour ne pas tomber dans les pièges de la mode et de la paresse intellectuelle. Car après tout, Hal 9000, l’IA du vaisseau spatial du film 2001 L’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968), finit par bugger et à assassiner des astronautes, selon elle pour le bien de « sa » mission. Et pour en revenir au journalisme mangé par ses IA : dans la nouvelle de 1963 « Si Benny Cemoli n’existait pas », l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick imaginait déjà une version entièrement automatisée du New York Times, sans journaliste, captant ses informations puis en pondant des news via des capteurs robotiques sur la Terre entière ; sauf qu’à la fin du texte, le lecteur se rend compte que la machine qu’on croyait omnipotente était manipulée par… des humains !

 

Ce n’est pas à l’IA de nous guider, mais à nous, êtres humains, de la décrypter, de la critiquer, mais aussi de l’utiliser comme le miroir de nos peurs et de nos imaginaires, nous permettant peut-être d’échapper au conformisme qui nous rend bêtes.

 

Rendez-vous Mercredi 20 Septembre, à 17h15 dans l’Auditorium pour la plénière Le réveil des imaginaires de l’IA

 

Sources :

« IA générative : des médias américains jettent l’éponge après avoir été la risée des réseaux sociaux », par Sophie Kloetzli, Usbek & Rica, 6 septembre 2023.

« Ce que ChatGPT dit de nos intelligences », par Ariel Kyrou, Yann Moulier Boutang, Mathieu Corteel, revue Multitudes, n°90, printemps 2023.

Ariel Kyrou, ABC Dick, Nous vivons dans les mots d’un écrivain de science-fiction, ActuSF, octobre 2021, entrée « Information (plasme), p. 191-195.

 

 

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